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Si Ludovic de Saint Sernin est aujourd'hui le huitième créateur invité par Jean Paul Gaultier , il est aussi le plus jeune. Au début les années 1990, alors qu'il n'est même pas encore né, “l'enfant terrible de la mode” s'approche de la quarantaine et assoit son statut avec sa ligne emblématique “Adam et Eve Rastas d'aujourd'hui”, une collection mettant en scène des couples de mannequins, mais aussi des stars comme Helena Christensen et Rossy de Palma dans des costumes colorés, des corsets fleuris et des ensembles pour aller danser en club. Comme toujours, l'humour, le spectacle et les sous-entendus imprègnent la collection du créateur.

Ludovic de Saint Sernin , qui a lancé sa marque en 2017 et pris les rênes d' Ann Demeulemeester pour une saison l'année dernière, est un provocateur comme Jean Paul Gaultier . Son approche fluide sur le genre et la sexualité se traduisent par des vêtements parfois minimalistes, parfois glamour, et souvent portés proches du corps. Il n'est pas difficile de l'imaginer interpréter les codes de la maison de celui qui a popularisé la jupe pour hommes.



Ludovic de Saint Sernin deviendra ainsi cette année le premier créateur à présenter une ligne masculine chez Gaultier . La collection, qui sera présentée en janvier, marquera sa première incursion dans le monde de la haute couture. À cette occasion, Vogue s'est entretenu avec lui, et avec Jean Paul Gaultier .

Jean Paul, comment avez-vous découvert le travail de Ludovic ? Je ne connaissais que son travail, pas sa personne. Je suis toujours intéressé par ce que font les jeunes designers. Je me souviens avoir été agréablement surpris lorsque j'ai vu une de ses premières collections : elle était très audacieuse pour une collection pour hommes.

J'aime ce genre de provocation, mais en même temps ce n'est pas juste de la provocation, c'était intéressant et beau. Ludovic, qu'est-ce que cela vous fait de savoir que vous étiez dans le collimateur de Jean Paul Gaultier ? C'est incroyable. Je crois que la première fois que nous nous sommes rencontrés en personne, c'était dans les coulisses d'un concert de Dua Lipa .

On était là pour profiter du concert, en tant que fan. Je lui ai dit à quel point je l'admirais, et on s'est tout de suite bien entendus. C'est ce que j'adore dans la mode : grandir en s'inspirant d'une icône et pouvoir la rencontrer un jour et travailler avec elle.

C'est incroyable de pouvoir faire ça, d'avoir son soutien. Quand avez-vous commencé à discuter du projet ? On a déjeuné ensemble avant le début de l'été. Ce repas m'a donné la confiance nécessaire pour me lancer dans ce projet.

Il m'a permis de me dire que j'étais capable de contribuer au développement de cette maison de mode. Comment se déroule le processus de création de la collection ? Ludovic, avez-vous déjà commencé à travailler sur la collection ? Oui, j'ai commencé. J'étais tellement excité quand j'ai eu la confirmation que cela se ferait que j'ai immédiatement commencé à faire des croquis.

J'adore dessiner. J'aime prendre mon temps. Je dessine et je m'imprègne de l'esprit de la maison.

J'ai fait beaucoup de recherches. Et puis, un jour, j'étais chez moi en train de faire des croquis et je me suis dit : “Je sais ce que je veux faire”. C'est la meilleure sensation qui soit car on a la chair de poule et on se dit : “Oh, ça va prendre vie, voilà l'histoire que je veux raconter”.

J'ai donné les croquis à l'atelier en juillet et maintenant on est en train de découvrir les 12 premiers looks. Est-ce pour cette raison que vous avez décidé de ne pas organiser de défilé cette saison ? Je veux donner le meilleur de moi-même. Et je pense que c'est peut-être un peu lié, mais c'est aussi comme ça que j'envisageais les choses cette saison.

Il y aura toujours une collection [ Ludovic de Saint Sernin ]. Je suis très enthousiaste car c'est très nouveau pour moi : j'essaie de nouvelles choses. Jean Paul, vous avez désormais invité huit créateurs à imaginer une collection pour votre maison.

Vous êtes content de ce procédé ? Honnêtement, oui. Ça marche très bien. Lorsque je suis parti de la maison, j'ai dit que je voulais qu'elle continue d'exister sans moi.

Mais il fallait choisir un designer. Lequel ? Je me suis souvenu du départ de Christian Lacroix de Jean Patou [en 1987]. À cette époque, je m'étais dit qu'il fallait qu'un créateur différent imagine les futures collections.

J'avais été assistant là-bas en 1972 et je leur ai soumis l'idée. Je leur ai dit d'inviter Vivienne Westwood , Romeo Gigli, bref, les gens cool du moment. Et vous savez ce qu'ils ont répondu ? “Trop cher”.

.. Quoi qu'il en soit, après cela, j'ai gardé cette idée en tête.

Cela ne peut avoir lieu que dans une maison avec des codes très reconnaissables. Il faut avoir une histoire suffisamment riche pour que les designers puissent vraiment arriver et comprendre la marque, tout en ayant suffisamment d'éléments avec lesquels jouer. JPG : Exactement.

C'était peut-être prétentieux, mais c'est comme un rêve de travailler avec quelqu'un avec sa propre personnalité. Ludovic fera ce qu'il sait déjà faire, mais pour Gaultier. Si vous aviez pu faire imaginer une collection unique pour une maison, pour quelle maison l'auriez-vous fait ? JPG : J'aurais aimé le faire pour Saint Laurent.

Maintenant, c'est trop tard. Ou alors pour Chanel. Il faut partir d'un univers qui en dit déjà beaucoup.

Et ensuite, c'est intéressant de voir comme il s'imbrique dans un autre univers. Ludovic, quels sont vos premiers souvenirs de Jean Paul Gaultier ? Je pense que mes premiers souvenirs sont les publicités pour les parfums. En grandissant, je me suis dit : “Voilà quelqu'un qui sait raconter une histoire”.

C'est de la mode, mais cela fait partie de la culture. L'une des choses que j'admire le plus chez Jean Paul , c'est que c'est un créateur de mode, mais qu'il fait aussi partie de quelque chose de plus large, de notre culture, de la culture pop, et qu'il s'est engagé dans des projets dans lesquels il croyait. Il a utilisé sa voix pour défendre des causes, pour s'amuser et pour que les gens m'émancipent.

Découvrir que l'on peut être soi-même dans la mode, que l'on peut avoir sa propre voix et son caractère unique et en être fier, voilà ce qu'il a apporté. Il a créé une communauté autour de lui bien avant Instagram et les réseaux sociaux. Exactement.

LdSS : Et c'est vraiment intéressant d'avoir réussi à créer ce lien, entre la mode, la culture et les gens en général. Il est devenu le visage de sa marque et les gens communiquaient directement avec lui. On a passé du temps ensemble à l'extérieur et les gens venaient vers lui et s'adressaient à lui comme s'ils le connaissaient.

C'est une manière généreuse d'aborder le rôle d'un créateur de mode. Et j'essaie de faire la même chose ; j'essaie aussi d'imiter ce sentiment. Je pense que nous avons beaucoup en commun.

Jean Paul, chaque créateur vous révèle-t-il quelque chose de nouveau de votre univers ? Oui, absolument ! Sacai est japonaise, alors bien sûr, elle fait quelque chose de différent. Elle s'est approprié certaines de mes créations et les a déconstruites. Glenn Martens a fait une collection plus stricte.

Moi, parfois, je m'aventure dans cette voie, car parfois ce n'est pas lisible, parce que, je ne sais pas, par exemple, ça s'éloigne peut-être un peu trop de ce que je fais. J'admire ce que Glenn a fait. Chaque créateur apporte sa pierre à l'édifice.

Ludovic, avez-vous partagé vos croquis à Jean Paul ? LdSS : Non...

JPG : Et c'est mieux comme ça ! Je veux être surpris. Si j'avais fait cela pour Saint Laurent, j'aurais été déstabilisé, je me serais dit : “Mon dieu, je ne peux pas faire ça, peut-être qu'il n'aimera pas”, au lieu de me concentrer sur ma vision. Je veux que Ludovic soit libre et qu'il croit en lui.

Ludovic, vous vous essayez également à la haute couture. J'aime travailler avec l'atelier. J'aime fabriquer des pièces à la main.

J'aime le travail artisanal. J'adore ça depuis mon passage à Balmain avec Olivier [Rousteing]. Je peux déjà le visualiser.

J'ai hâte. Mais au-delà de ça, je me dis aussi que je crée des pièces à des clients incroyables. Les pièces que j'imagine vont vivre et inspirer des gens, et elles feront partie de l'histoire de la maison.

Et puis, créer une pièce personnalisée pour des célébrités, c'est tellement excitant. J'en ai déjà une en tête. C'est l'objectif que je me suis fixé après le défilé et je me projette déjà là dedans.

Lorsque je pense aux chevauchements de vos deux univers et à la raison pour laquelle, Jean Paul, vous avez peut-être été attiré par le travail de Ludovic, je pense à l'accent mis sur le corps et au laçage. Qu'est-ce qui vous attire tous les deux dans ça, dans cet aspect subversif, un peu fétichiste ? Je suis plus âgée que Ludovic, donc cet attrait s'explique pour plusieurs raisons. Tout d'abord, quand j'ai vu le corset de ma grand-mère pour la première fois, je ne savais pas ce que c'était et ça m'a marqué.

La couleur chair avec le satin, le laçage...

Elle m'a raconté qu'elle avait bu du vinaigre pour se contracter l'estomac et perdre un tour de taille. Je me souviens également d'une comédie musicale à New York, censée se dérouler dans les années 1920 ou 1930, où toutes les actrices étaient vêtues de vêtements couleur saumon, car il s'agissait de lingerie. J'ai observé des jeunes filles qui regardaient.

Elles adoraient ça et je me suis dit qu'il serait peut-être cool de faire une robe à partir d'un soutien-gorge ou d'un corset, qu'il fallait être à la page et créer ce que les gens voulaient. Cela dit, je ne voulais pas que les femmes souffrent. Et puis, tout cela avait lieu après l'époque de la tendance des vêtements unisexes : je voulais à nouveau montrer les formes des femmes.

Des personnes comme Béatrice Dalle et Madonna voulaient porter ce genre de choses. Ludovic, je me suis dit que peut-être vous vous projetiez en train de créer un look pour Madonna. LdSS : C'est peut-être le cas.

.. Vous avez vu, je suis blond maintenant ! Ce qui est intéressant, c'est que Jean Paul est devenu célèbre pour son corset, et moi pour mes slips à œillets.

Très rapidement, nous avons créé une pièce immédiatement reconnaissable et à partir de laquelle nous pouvions tous les deux construire un univers. Tout cela est né d'une volonté d'exprimer la mode d'une manière nouvelle et différente. À l'origine, j'ai étudié la mode féminine et je pensais que je ne ferais que cela.

Puis, j'ai compris que la mode pouvait aussi être une histoire personnelle, ce qui m'a permis de faire un grand pas en avant. C'est à ce moment-là que j'ai décidé que ma première collection serait composée de garçons portant des vêtements féminins, mais sans avoir l'impression qu'ils se travestissaient. Ils étaient vraiment crédibles dans ces vêtements, et cela a inspiré les hommes et les femmes à porter ces pièces.

Tout cela, ça s'inscrit dans la démarche de Jean Paul. JPG : Oui, la jupe pour les hommes. J'ai essayé de leur donner une allure masculine, mais c'est quelque chose de féminin, en quelque sorte.

LdSS : Je pense c'était aussi une façon de parler de genre à l'époque. J'ai grandi de manière un peu conservatrice dans le 16e arrondissement, en étant très protégée. Et je me suis dit : “Oh, mais ces vêtements typiquement masculins ne me vont pas vraiment, ni à ma silhouette, et je veux montrer mon corps”.

Et je pense que ce qui s'est passé, c'est que j'ai surtout grandi en regardant des vêtements portés par des femmes incroyables. Et je me suis qu'il fallait qu'un homme les porte. Et là, ça a été un choc, je ne pensais pas que cela pouvait exister.

Ludovic, cela définira également vos collections à l'avenir ? C'est intéressant parce que j'ai commencé à travailler sur la collection actuelle avant de savoir que j'allais faire la couture en janvier. Du coup, je travaille sur les deux en même temps en ce moment. Je me plonge dans l'histoire de Gaultier .

Les gens vont essayer de voir les similitudes. Lorsque vous entrez dans une autre maison, vous apprenez à regarder autrement les vêtements, à les construire différemment. Cela influencera certainement ma façon de travailler à l'avenir, consciemment ou non.

Entre votre passage chez Ann Demeulemeester et maintenant chez Jean Paul Gaultier, vous avez réussi à faire le lien entre deux esthétiques totalement différentes. Oui, j'ai grandi en adorant la mode et je connais ces maisons par cœur. Si j'arrive à mettre la main sur les archives, à essayer les vêtements et à voir comment on se sent dedans, je comprends très vite comme ça marche et je me plonge dans un nouvel univers facilement, avec passion.

Je veux rendre hommage à tout ça : qu'il s'agisse d' Ann ou de Jean Paul, je me demande ce qu'ils feraient aujourd'hui s'ils avaient mon âge et s'ils vivaient ce que nous vivons actuellement. Pouvez-vous nous donner un indice concernant la collection ? Non, non, non ! Mais il y a quelque chose chez Gaultier qui n'a pas encore été repris et qui m'intéresse. Pour moi, en tant que Français, c'est une référence importante.

J'ai vraiment hâte de vous montrer ça. Avez-vous vraiment décidé de devenir blonde pour célébrer cette alliance avec Jean Paul ? LdSS : Je voulais être blond le jour où on nous prendrait tous les deux en photo. J'ai commencé le processus il y a deux mois et je suis blond depuis une semaine ou deux.

JPG : Comment vous sentez-vous en blond ? LdSS : J'adore. J'ai beaucoup travaillé, alors je ne me suis pas encore amusée. Mais j'espère que ça viendra.

Cet entretien a été condensé et édité pour plus de clarté. Plus de mode sur Vogue.fr Une fille, un style : dans l'appartement minimaliste de Sophia Roe à Copenhague Une fille, un style : chez Ditte Reffstrup, directrice de la création de Ganni , à Copenhague Une fille, un style : chez Emma Rosenzweig à Copenhague.

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